Il lui semblait que tous les gens qu'il croisait étaient victimes d'un terrible abbatement. C'était comme si la tristesse dépassait le seul stade des condamnés à vivre pour rejoindre la cohorte des nés ici pour être mal. Cette universalité de la dépression semblait l'appendice obligatoire de l'existence de ses contemporains.Tout cela se bousculait dans sa tête. Il n'avait même pas pris le temps d'écouter sa collègue parler. Il savait qu'entre ses enfants, son mari et les chefs de services elle allait mal. Chacun, à chaque déjeuner, répétait la même chose. Et les confrères n'échappaient pas à la règle : la femme ravissante en face de lui était également victime de l'épidémie. Il ne portait plus attention à ces atermoiements justifiés. Il se contentait de deviner à demi-mots ; s'enfoncer dans le sens. Il aimait à ce moment là sentir les idées fuser, exploser le cerveau et balancer de véritables décharges électriques. Il s'interrogeait en faisant mine d'écouter la grande rousse du service ressources humaines. Il y avait-il une relation entre ce stress intelectuel et la déprime sociale ? La météo n'était pas seule coupable. Il pleuvait depuis des semaines. Si les unes et les uns étaient ainsi, cela n'était pas seulement du à la politique gouvernementale, menée il est vrai pas une bande d'êtres pathétiques, mais cela aussi ne changeait pas tant que ça de l'habitude. Cette apathie générale ne pouvait pas nom plus trouver sa genèse dans la crise économique, l'omniprésence de celle ci depuis la fin de la reconstruction d'après guerre n'avait pas grand chose de nouveau à offrir dans le domaine du déprimant. Non toutes les personnes qu'il croisait semblaient avoir le même point commun : elles broyaient du noir, et cela se transposait jusque dans leurs tenues vestimentaires : elles manquaient de couleurs. Tous vivaient en noir et blanc dans des villes grises à l'air saturé de cendres volcaniques et de pluies acides. Ils existaient dans de tristes relations ternes aux conversation Prosacs et ne pimentaient plus le réel du moindre rêve coloré. Ils s'enfonçait dans une solitude grise.
C'est ainsi que l'idée fusât... Aussi étrangement que cela puisse paraître cela se produisit simultanément dans plusieurs villes d'Europe.
Le problème c'est que dans la matinée des rues Grenat et Violine remplacèrent Tolbiac et Jaurès. Quelques artistes timidement vers 10h commencèrent à vider leurs fonds de pots sur les panneaux de signalisations et les bordures de trottoirs. Les rues ne se contentaient plus seulement de changer de nom : elles se grimaient aux tonalités de leur nouvelle appellation. Vers l'heure de l'apéro rue Bleue, l'une des seules qui avait gardée son nom, les ouvriers qui travaillaient à la réfection d'une façade vidèrent en rigolant 1500 litres de peinture turquoise au milieu de la chaussée. Une poignée d'habitants, jeunes, chômeurs et retraités, sortirent armés d'un pinceaux et se mirent à étaler le nectar sur les murs. Entre midi et deux les télévisions en firent leur gros titre. La police qui tentât d'intervenir fut passablement coloriés. Les Crs restaient en retrait attendant des ordres d'une préfecture en proie au vert pomme.
A paris ce que l'on appela l'insurrection des couleurs dura une semaine, elle avait gagnée la banlieue et les grandes villes de province. 800 000 personnes furent interpellées par la police et la prison de la santé fut rebaptisée "maison blanche". A Rome les brigades anti-couleurs tirèrent avec des canons à eau sur les manifestants. Mais le résultat fut pire encore, la ville arborait désormais de jolies nuances pastel qui se mariait à merveille avec l'ocre des façades.
Les habitants arboraient tous un grand et beau sourire et l'on ne trouvât plus aucune raison de rentrer regarder la "télévision d'état" alors que tout le monde était en train de s'amuser dans la rue. Des couples de couleurs se formaient. On se rencontraient entre jaune et bleu pour se rouler dans l'herbe verte. Tout allait pour le mieux. Le ministère de l'immigration seul avait été repeins en noir.
- Hé tu m'écoutes ? avait lancé la ravissante personne qui lui faisait face. Le serveur venait de poser un filet de poisson gris devant eux.
- Je me demande pourquoi on va déjeuner ensemble avait-elle dit ; je suis en train de te parler et toi tu rêvasse. Des fois je me demande a quoi tu penses ?
- Excuses moi avait-il seulement répondu. tu disais quoi ?
- Je te disais que je déprime grave et que tous les gens à qui j'essaie d'en parler sont pire que moi.
De l'autre coté de la rue en arrière plan des noirs repeignaient en gris la façade d'une banque. Il se senti emprunt d'un terrible alanguissement, touché à son tour par ce marasme ambiant. Ils n'osèrent plus parler jusqu'a la fin du repas.
Elle avait finit son café et sortit un rouge à lèvre qu'elle appliquât en se regardant dans un miroir de poche.
- On va être en retard.
- Et si on allait faire l'amour dans un hôtel au lieux de retourner au bureau avait-il proposé sans trop y croire.
- T'es fou ? remarque t'as raison ça nous changera peu être les idées et puis il y a un petit hôtel trop sympa ou j'ai toujours rêvé d'aller. C'est pas trés loin, c'est rue blanche...
- Chiche !
Elle souriait.
Printemps pluvieux à fait l'objet de deux Nuits Off .