La lune venait de se coucher et déjà les premières lueurs du jour irisaient le ciel. Il n'en croyait pas ses yeux, jamais il n'aurait pensé vivre aussis longtemps pour avoir la chance de contempler ce merveilleux paysage. Sa vie comme une fuite l'avait menée ici sur les rivages de l'océan. Il avait gouté l'ombre des filaos sur la plage, le jour durant ; contemplé les belles et les marmailles. Il avait gouté les bains d'eau douce des goutes de rosée et s'était laissé allé à batifoler dans un parterre de fleurs bleues avec une belle. Le couché de soleil, par chance n'avait laissé dans l'air que la douceur et non l'âcre froidure de la nuit. Il était resté là, surveillant les étoiles : La voie lactée bien sûr mais aussi bêta Centaurus prés de la croix du sud. Il s'amusait d'un tang qui menait sa course aux pieds des manguiers.
Il avait dansé aux lueurs des lanternes d'un bateau. Puis enfin s'était posé là sur le rebord d'une fenêtre, repus de cette vie bien remplie à contempler le lever du jour sur son île adorée… Jamais, non au grand jamais, il n'aurait pensé vivre assis longtemps pour voir ce moment majestueux. Mais cette idée est bien subjective pensait-il. Il aurait put mener ici une longue réflexion digne de Jean Paul Sartre sur la vocation de l'existentialisme lorsque l'on a passé le plus clair d'une vie de larve pour se retrouver enfin à l'aube étonné de ne pas avoir trépassé. Mais il n'en fit rien. On a pas le temps de s'appesantir sur ses états d'âmes, fussent-ils philosophiques, lorsque l'on porte le nom de Nigrobaetis Colonus et que l'on est un rarissime insecte éphémère endémique le l'île de la Réunion.

*Nb à propos de la citation de Charles Augustin Sainte-Beuve :
Le 20 Septembre 1830 Sainte-Beuve et l'un des propriétaires du journal Le Globe P.F Dubois se battent en duel dans les bois de Romainville. Sous la pluie, ils s'échangent quatre balles sans résultats. Sainte-Beuve conserva son parapluie à la main durant tout le duel, disant qu’il voulait bien être tué mais pas mouillé.
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