le voleur de silhouettes: Orange

A la terrasse, il y a avait l’Arsène et son vieux chien pelé qui dormait à ces pieds. L’épicier tirait son rideau et chaque soir venait le retrouver pour commenter la journée comme si le moindre détail du quartier avait valeur d’exclusivité. Émile Duclerc le charcutier du coin de la rue arrivait. L’été ils prenaient l’anisette, mais le plus souvent c’est un ballon de blanc que leur servait le patron. Un Auvergnat bourru qui avait fait fortune, disait-on, avec le marché noir durant l’occupation. Les trois compères s’installaient là, à l’heure dite, comme chaque soir. Dans un instant, le défilé allait commencer. Leurs conversations comme les bruits des verres allaient s’interrompre d’un instant à l’autre. Juste au moment où retentissait la sonnerie de la sortie des employés du Magasin Réunis. Alors, face à eux, par la porte grise sur laquelle on avait accroché un panonceau peint à la main arborant fièrement l’inscription « entrée du personnel » ; alors donc, comme chaque soir sortaient par petits groupes les vendeuses du grand magasin. Et à l’heure de l’apéro, qu’il pleuve ou qu’il vente, ils restaient là, à assisté à la parade des belles en tailleurs, imperméables bien coupés jupe et robes ajustées à la perfection. La rue n’était plus en un instant que rires et éclats de voies éclairant la journée. Parfois l’une d’entre elles les gratifiait d’un petit signe de la main, d’autres fois de jolies blondes aux accents des barrières se moquaient des trois compères qui sirotaient leur boc l’œil goguenard.

Et, en instant les vendeuses disparaissaient pour sauter dans le bus, elles s’installaient sur la plateforme et ils les regardaient s’éloigner cheveux au vent, telles des starlettes sur la croisette. L’Arsène repayait une tournée et son chien redressait le museau. C’était l’heure de rentrer. Sacha Distel à la radio parlait de Scoubidou et les trois amis se saluaient bruyamment, heureux d’avoir un jour encore assisté à une bien belle fin de journée.

Je buvais un Vittel menthe avec mon père, on attendait Jacqueline qui sortait souvent la dernière avec son amie Solange. Elle venait nous rejoindre et commandait un Picon Bière. Elle était la plus belle de toutes, les mamans le sont toujours.

Je retourne parfois dans le quartier, rien n’a changé, le grand magasin n’a plus le même nom et le bougnat est devenu un bar branché peinturluré d’orangé. Pour le reste tout est pareil. De jolies vendeuses viennent avec élégance pianoter sur leur téléphone portable après le travail et moi j’ai même un vieux chien pelé qui roupille à mes pieds.

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