Nous avons marché, elles et moi dans le quartier de mon enfance. C’est un endroit que j’évitais d’ordinaire tant il évoquait des souvenirs douloureux. Mais il faudrait bien se résoudre à oublier pas à pas les messages laissés sur le sol. Longtemps ici les rails de l’ancien tramway faisaient des pièges dans les pavés devant l’ancienne brasserie Dupont. On les avait finalement retirés tant bien mal. La cabane du fleuriste plantée à la libération était immuable. Il me semblait que d’un moment à l’autre j’allais croiser une silhouette familière. Quelqu’un, encore une fois, me tendrait la main, me demanderait des nouvelles de Marguerite. Elle ressemblait disait-on à cette actrice dont j’ai oublié le nom et dont elle fut la couturière chez Patou. Je savais en m’infiltrant sur ces traces que d’un instant à l’autre, à l’angle de la rue Poncelet, un type viendrait vers moi pour me demander si je savais où il pourrait trouver mon grand-père. Je fus pris d’une terreur à l’idée de devoir m’enfuir, ou pire mentir sur ce qu’étaient devenus tous ces gens qui ont aujourd’hui disparu. Effacés comme des ombres glissant dans la nuit au détour d’une porte-cochère.
Elles, elles se moquaient bien de mes états âmes tardifs, elles étaient trempées par la brune d’automne et n’aspiraient plus qu’a ce que nous trouvions vite un taxi pour fuir cette zone dangereuse pour la mémoire.
Je revins sur mes pas, vers la place des Ternes. Je craignais à tout moment qu’un vilain bougre en délicatesse avec ma famille ne souhaite tout à coup régler quelques dettes d’honneur. Mon grand-père n’avait pas été le héros de la libération qu’il voulait bien faire croire et avait laissé quelques ardoises salées dans le milieu. Par malchance le temps n’efface pas tout. Je les regardais en marchant, elles étaient belles et rassurantes. Sans doute un peu ostensibles. Elles m’entrainaient rue Daru, au coin de square du Roule. C’est là que tout s’était passé. Elles s’en souvenaient. Elles seules en avaient été témoins. Ainsi donc c’est là qu’elles me guidaient ? Une plaque discrète rappelle seulement la mort d’un homme exécuté par la Gestapo française de la rue Lauriston. Elles se souviennent de tout. Jusqu’au bruit des balles cette nuit là.
Je suis en nage, je tremble, elles me font mal. Mais quelle idée ai-je eu de mettre les chaussures de ville en cuir noir et blanc de mon grand-père. Il me les a légués comme seul héritage et bien que j’ai la même pointure que lui, elles ne m’emmènent à chaque fois qu’en des chemins tourmentés et douloureux.
Le 15 de chaque mois à midi heure de Paris les blogueurs de "la photo du mois" publient tous une photo sur le même thème.
Les commentaires récents