Voeux sans visages
Je n’arrive plus à dessiner : mes silhouettes portent toutes un slip de gueule jetable, c’est une étrange impression, tout se passe comme si un « mange mort » leur aurait volé leur visage, devenues momies de gaze chirugucale, sans emotion déchiffrable.
Je sors pour respirer mais, sur le faubourg Saint Antoine mes silhouettes hantent les boulevards désertés, terrasses fermées ; elles fuient à la manière d’un chat pressé de rentrer en son panier. La peur de l’extérieur est devenue une impression constante, une compagne qui force leurs pas jusqu’à la porte d’un logis confiné.
J’aimerai parfois cloper, mettre bas les masques pour partager avec ma voisine de passage clouté, tandis que nous attendons que le feu passe au rouge, cette étrange tolérance : tomber le masque pour allumer une cibiche. Je veux me remettre à fumer… Nous en rions, elle m’en offre une car la contradiction est de taille. « Fumer est dangereux pour la santé » la formule éclaire de fumée son sourir aux yeux verts. Le bonhomme lumineux devient vert lui aussi et nous traversons chacun vers notre ailleurs avec un signe de la main, clope au bec comme le faisaient les saligauds, les noireauds, les gueules noires quand ils sortaient du puits, les sans-visage noircis de charbon, tous égaux avec une face de suie qui disparait dans la nuit, vers les corons.
Bonne année.