La muse des clochards célestes.
Il existe un concept philosophique qui exprime une « faiblesse de la volonté », C'est le carburant le plus représenté dans la littérature de la Beat génération et thème récurant de la culture rock. Compagne de certains auteurs, elle fut aussi l’instigatrice de nombreux personnages de romans célèbres pour cause de drogue, d’alcool ou de désespoir : "L’acrasie – cette faiblesse de caractère qui vous pousse à agir contre votre intérêt. Si le grec n’est pas votre truc, appelons ça Idiot Wind, le vent idiot, comme Bob Dylan […]. Pendant plus de dix ans son souffle a déchiqueté ma vie", résume Peter Kaldheim au début de ses Mémoires.
Selon certains philosophes (par exemple, Spinoza), si nos actes suivent spontanément "ce que nous avons jugé bon de faire" alors la volonté, comprise comme faculté distincte de la raison, n'a pas lieu d'exister. C’est ici que surgit le paradoxe de l'acrasie et sous son emprise son adepte devient un pilier de comptoir, irascible, pathétique, il nourrit sa vie durant, jusqu’à plus soif, une intarissable révolte adolescente. Il y a des Hommes et la légende noire et il y a aussi des œuvres, exigeantes et d’une sombre beauté. L’acrasie semble parfois être la terrible compagne instigatrice de création géniale… Et si on voulait, par exemple faire la bibliothèque idéale de L’acrasie, elle s’insinue dans les personnages d’Ernest Hemingway, Malcolm Lowry, Knut Hamsun et Saul Bellow, sous la plume de Kerouac (Sur la route), George Orwell (dans la dèche à Paris et à Londres), Fred Exley (Le Dernier Stade de la soif) ou Ken Kesey (Vol au-dessus d’un nid de coucou) entre autres. La vie de Ludwig Hohl * en est l'illustration parfaite.
Porte-parole éclairé de l’acrasie, Charles Bukowski disait
«L’alcool m’a mis dans des situations que je n’aurais jamais connues sans lui: des lits, des prisons, des bagarres et des longues nuits insensées. Durant toutes mes années de clochard et de banal ouvrier, l’alcool a été la seule chose me permettant de me sentir mieux. Ça m’a sorti du piège rance et boueux. Les Grecs n’appelaient pas le vin «le sang des dieux» pour rien.»
Ce concept qui opposa Socrate et Aristote, bien que fascinant en littérature, n’est pas, que le vent mauvais des poètes et guide encore aujourd’hui bien des déraisons terribles. L’acrasie s’empare du jugement du fou et du fanatique et conduit hélas parfois aussi aux pires extrémités.
« Mais je ne veux pas fréquenter des fous, » fit observer Alice.
- Vous ne pouvez pas vous en défendre, tout le monde est fou ici. Je suis fou, vous êtes folle.
- Comment savez-vous que je suis folle ? dit Alice.
- Vous devez l’être, dit le Chat, « sans cela, vous ne seriez pas venue ici. » **
* à lire :
Ludwig Hohl est un écrivain suisse alémanique rare nimbé d’une aura de légende qui a voué son existence à la littérature, laisse une bibliographie assez maigre, avec deux pics: Ascension, un bref roman écrit et réécrit pendant une quarantaine d’années avant sa parution, en 1975, et Notes ou De la réconciliation non-prématurée, un gros livre inclassable tenant du journal, de la philosophie et de la poésie. (source : Le temps)
** Lewis Carol
Cet extrait d'Alice m'incite à recommander également La Nuit du Jabberwock de Frederick Brown, lisez le : vous comprendrez pourquoi !
illustration : Acrylique sur toile 80X80 - 2013 Laurent Nicolas - atelier moreau
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