Une goûte d'huile pour radio libertaire...
Il a fallu remonter une rue de Montmartre. Une de celles qui veulent vous faire cracher vos poumons. Puis il faut pousser la porte d'un immeuble d'habitation ordinaire. Grimper quelques marches d'un palier en parquet et parvenir à la porte de ce qui semble un appartement ordinaire et abrite en fait les studios de radio libertaire. Ce qui choque le plus en entrant dans le minuscule local n'est pas la crasse. Cette dernière est visiblement indissociable de toute activité militante sérieuse et semble même faire partie intégrante de toute pensée politique correcte. Non ce qui saute au visage c'est bien l'exiguïté du lieu.
Les compagnons qui quelques années auparavant ont choisi le local ont sans doute pris le mot au pied de la lettre, ils ont pris un studio pour faire leur radio et non l'inverse : un studio de radio. Il y a là une bande de filles qui bavardent dans l'entrée. La pièce sert aussi de local à disque. L'herbe qu'elles fument empeste copieusement, mais il est vrai qu'à ce consumérisme l'effet prisé est en général inversement proportionnel à la qualité gustative. La partie régie est à l'avenant. Je dis bonjour et me glisse dans le recoin téléphonique qui dessert un studio minuscule. Autour d'une table, un groupe de militants commentent l'actualité. Juste en face une régie pittoresque composée d'une simple table de mixage et deux platines. Le départ d'une équipe et l'arrivée de l'autre sont un véritable casse-tête dans ce réduit. Mais par le jeu de croisement des fluides et l'effet de poussée équivalente de bas en haut les résultats sont prometteurs... La porte du studio grince terriblement à chaque personne qui passe. Cet échange viril, mais néanmoins efficace me projette selon la règle d'Archimède contre un syndicaliste barbu et cette étreinte néanmoins me permet de me réfugier dans la régie. Sur les platines : ce sont des vinyles qui tournent et celui-ci est bien sûr : un Léo Ferré. Lequel dans quelques semaines fera un concert de soutien pour la radio. Le seul hic est que cette fois la chose est rayée et bloque en boucle sur un mot du poète ... " il n'y en a pas ... clac clac "il n'y en a pas " Il s'agit de la célèbre chanson écrite pour honorer la disette de militants de l'anarchie " il n’y en a pas un sur 100, mais pourtant ils existent ". Je décide de laisser tourner le disque rayé et j'envoie sur la platine de gauche un morceau instrumental d "Art of noise". "il n'y en à pas".
Sorte de collage électronique de mélodie guimauves aux accents de publicité pour des chaussures de sport. L'affaire s'encastre l'une avec l'autre. j'ai dans mes soutes pour ce premier voyage sonore tout ce que compte la scène new Wave, cold Wave, pop punk et rock du moment ; fermement décidé que je suis à signer une première nuit non-stop en musique anglophone. L'affaire relève du défi, sur cette radio militante qui ne diffuse que de la chanson française "de qualité". C'est à dire en boucle Brel, Brassens et Léo, j'arrive avec le projet de ne diffuser que des sonorités anglophones. L'idée vient de Bruno un des compagnon responsable de la programmation de l'époque qui m'a entendu faire quelques émissions spéciales avec mes amis de l'Union Pacifiste... La radio qui jusqu'à présent s'était vu octroyer une fréquence légalement se retrouvait dans l'obligation de partager son espace hertzien avec une autre radio libre " radio pays" . Ce qui de la part du pouvoir socialiste de l'époque relevait d'un humour sans borne de mettre sur la même longueur d'onde des régionalistes avec les anationalistes. La contradiction se traduisait pas un temps d'antenne partagé et les nuits n’étaient jusque là laissés à des Basques, des Bretons et autres occitans radioteurs. Radio pays revendiquant à juste titre son autonomie hertzienne obtient sa fréquence. Radio libertaire se retrouva donc en présence d'un vaste trou noir constitué de nuits à occuper. Il faut louer ici la magnanimité du gouvernemenant qui plutôt qu'un parlement Corse ou Vogeois, lâchait aux régionalistes une fréquence sur la bande FM. Il évita aussi de cruelles déconvenues idéologiques entre les citoyens du monde et les défenseurs de l'armée régulière du Limousin. C'est ainsi donc qu'on me proposa de m'emparer d'une nuit. "Nuit Off" vu le jour dans ce tumulte de fréquence quelque temps plus tard... J'avais la liberté de faire ce que je souhaitais sans contrainte ni barrière. Mais avec l'obligation d'assurer surtout ma présence dans le studio jusqu'à l'arrivée de l'équipe du matin. Car en plus du difficile rôle de programmateurs : les responsables de la radio étaient confrontés un autre vaste problème : les clefs.
Chaque équipe se devait d'attendre la suivante et lui repassait la clef du studio. Cette histoire de clef bien que freudienne prise parfois des allures kafkaïennes. Elle exprime à elle seule le fonctionnement de cette radio. Chacun passant la clef à l'équipe suivante et cela depuis la naissance de la radio jusqu'à aujourd'hui. L'autogestion prenait corps avec une affaire de caroubes qui symboliquement avaient pris tout leur sens de passe-partout : on passe le relais, le témoin pour que jamais ne se taise la voie des anars...
Ce soir-là je commençais ma première nuit sans me douter que je reviendrai le samedi d'après et le suivant. Mes insomnies avaient une cause, un son, des auditeurs de plus en plus nombreux. Ma passion pour la musique trouvait son sens dès lors qu'elle était partagée. Au bout de la 365 ème nuit, je pris conscience que j'avais passé une année entière de ma vie dans ce studio. Puis j'arrêtais de compter. 35 années plus tard, je suis toujours là sans trop savoir ni comment ni pourquoi. J'ai poussé cette porte j'avais un peu plus de 20 ans et je n'étais qu'un passionné de musique et de radio. Durant toutes ces années, j'ai écouté, participé et soutenu la vie de ce projet libertaire. En étant technicien, puis service d'ordre au concert de léo et animateur improviste. En côtoyant ceux que l'on appelle souvent "de doux rêveurs" durant autant d'années j'ai entendu des réflexions exemplaires et des discours surprenants. De véritables sottises aussi. Parfois des propos parfaitement contradictoires d'émissions en émissions. J'ai vu de la part de certains des attitudes affligeantes, mais constaté aussi de véritables fraternités. J'ai forgé grâce à certains des modes de réflexions que je n'imaginais pas possibles. Je me suis confronté à de terribles contradictions aussi. Mais jamais je n'ai regretté une minute passée avec ceux qui au fil des années allaient devenir mes amis...Et pour certains des frères et soeurs... Le fait que les anars aient laissé leur antenne à des non-militants inspire le respect, la confiance qu'on m'octroyait en me passant les clefs méritait que l'on s'en rende digne. Avec le recul je crois aussi qu'il y avait sans doute dans tous ces discours confus et utopiques des vibrations qui donnaient sens à ma colère adolescente. Le sens de certaines pratiques de ma vie m'apparaissait conforme à certaines idées. J'aimais que l'on puisse avoir envie "d'autrement" sans tomber dans le dogmatisme. Bien que souvent dans certaines émissions on ramassait les copeaux à la fin tant la langue de bois avait sévi à l'antenne.
Mur des fédérés, un jour de février, le froid balancé pas un satané zef nous glace les os. Nous sommes une poignée. Nous allons épandre les cendres d'un de nos compagnons. C'est un de ces jours tristes ou une voie matinale, Paulot l'homme à la gouaille parisienne s'est éteinte. De trop de rage et de colère, mais surtout d'une maladie banale. La mort d'un vieux compagnon pour une radio c'est le silence. Le copain qui tient l'urne contenant les cendres se retourne et nous tournant le dos ouvre le réceptacle dans un cérémonial fort convaincant... Il libère les cendres du défunt dans le geste auguste qu'on connaît. Hélas le pauvre n'a pas calculé le sens du vent. Celui-ci en bourrasque lui renvoie instantanément le contenu en poudre dans la figure... C'est la consternation. Le malheureux se retourne et essuyant sur son jeans la poussière mortuaire. Il déclare seulement pour l'assemblée en frottant les mains. " et bien voilà les gars j'aurai été le dernier à serrer la pogne à Paulot" ... Voilà un sourire qu'on n’oublie pas. On va vite boire un verre à la santé du défunt.
Les réunions des animateurs se déroulaient tous les samedis dans l'arrière-boutique de la librairie. On y parlait des problèmes techniques, des clefs et encore des clefs. Telle ou telle émission n'avait pas pu avoir lieu, car l'équipe d'avant n'avait pas attendu, pire, toute une journée entière la radio était restée muette. Le grand Jacques, un immense jeune homme chevelu au visage aquilin proposait l'installation de magnétophones à bande afin d'instaurer un système de diffusion permanente de programmes musicaux en cas de problème de ce type. C'est ce jour-là que naquirent les " bandes sans fin" qui tournaient parfois inlassablement à l'antenne. Les deux gros magnétophones Revox étaient reliés par un système très sophistiqué à un dispositif qui permettait à l'un de se mettre en route quand l'autre arrivait à la fin. De procéder au "rembobinage" du premier et ainsi de suite. Le terme resta et le nom perdure aujourd'hui bien qu'il n'y ait plus ces gros magnétophones... Bien évidemment, je participais activement à l'affaire, réalisant depuis mon petit appartement des bandes magnétiques que je collais ensuite bout à bout au studio avec du ruban adhésif. Tout semblait de bric et de broc, mais la radio gagnait chaque jour plus d’auditeurs.
Lors des réunions, on évoquait le problème des toilettes. La porte du studio qui grince. Le réduit qui servait de studio s'était agrandi pas magie et l'acquisition d'un espace attenant. Jusqu'à présent il n'y avait pas de wc dans le studio juste un petit point d'eau en forme d'évier. On commenta longuement le haut fait d'arme de la comédienne : Maria Pacome, venue parler d'une de ces pièces qui au cours de l'émission fut prise d'un besoin naturel. La pauvre actrice fut saisie de panique en apprenant qu'il n'y avait aucun lieu d'aisance chez les libertaires. Elle ne se démonta pas et fit ses besoins dans le lavabo du studio. L'image de cette grande comédienne pissant dans un évier dut convaincre nos chers compagnons d'allouer une partie de l'espace nouvellement acquis à la pose d'un chiotte. Lequel s'il avait une âme pourrait en raconter des choses à propos des fesses célèbres : écrivains, poètes, chanteurs et hommes politiques qui virent y trôner. C'est à ma connaissance le seul trône que je vis ériger pas des anars...
Les réunions d'une poignée de passionnés de la radio, de militants, de syndicalistes étaient exaltantes. On était en train de vivre la naissance et la croissance d'une radio libre. Il y avait Gérard avec son chapeau, spécialiste du blue et producteur de jazz, Thierry et son émission Traffic qui recevait les Berruriers avec fracas, Serge du Folk, Nelly de femmes libres, Le grand Jacques et Epsilonia son émission sonore et créative du jeudi, Juliette de Rock contact, Brigitte, Élisabeth, Patrick, Laurent, Michel, Anita, Floréal un dés fondateur, puis plus tard Jacques et Nicole de raz les murs, Aude, Le squale, Sepuku, Agnès, Mohamed et bien d'autres militants dont j'ai, qu'ils me pardonnent, oublié les prénoms, mais pas les émissions. Tous nourrissaient un débat fait d'un mélange d'idées politiques, de musiques, de problèmes de PQ , Pionniers de platines en panne et commentateurs hésitants des conflits sociaux et d’une civilisation injuste.
Il y avait dans ce brassage hétéroclite des genres et des idées : de véritables rencontres. Il en va sans doute ainsi de tout mouvement associatif, mais celui-ci portait en lui un projet à peine audible parfois. Parler à la radio ne se faisait pas sans mal : lancer un disque qui ne partait pas, entrer dans le studio avec la porte qui se mettait à grincer au coeur d'un débat passionné, avoir des fous rires au coeur d'une injonction d'un certain Blackounine - et quiconque se serait confronté à ces idées "favorisant l'auto-organisation à la base proche de la conception défendue plus tard par les anarcho-syndicalistes au sein d'organisations de masse " comprendra qu'il n'y a pourtant pas matière à rire fut-il fou - nous apprenions, non sans mal à faire de la radio : pire, nous invention "notre radio". Pleine d'amateurisme et de bordel, mais pleine de vie. Les auditeurs adoraient ou subissaient ce dilettantisme rassurant dans un monde de plus en plus formaté. Un jour l'un d’eux passa aux aveux et la sentence téléphonée fut terrible :
- Savez-vous comment je reconnais votre radio quand je glisse sur la bande FM ?
- Non ?
- Au blanc ! c'est la seule radio où il n'y a rien. La seule où l'on oublie d'ouvrir les micros des invités où le disque ne part jamais, ou les programmes s'arrêtent sans raison tout à coup.
J'en conclus rapidement pour me rassurer que le noir de l'anarchie renfermait des silences et que les blancs d'antennes exprimaient encore le message anar. Et tout comme les voies du seigneur sont impénétrables, les auditeurs de notre radio y reconnaissaient les leurs ! Pour ma part je maudissais le ruban adhésif des bandes sans fin qui avait encore craqué.
En cette époque de libération des ondes, le socialisme n'était pourtant pas soluble dans l'anarchie et un beau matin les pandores vinrent saisir le matériel. Instantanément après un rapide appel à l'antenne une manif spontanée des auditeurs se forma devant les studios. Bâillonnée privé de matériel, la radio allait-elle mourir ? Il se passa alors ce que personne n'aurait imaginé, Julien, un des quelques copains fondateurs de la radio arrivait avec du nouveau matériel et remis en route la fréquence, passant en boucle " le temps des cerises ". L'improbable continuait. Nous tenions le studio comme un bastion assiègé.
Néanmoins l'heure était grave... Jours et nuit les équipes des émissions déléguaient un ou deux de leurs membres pour assurer la surveillance des studios. De peur d'une nouvelle descente de la rousse. Pour ma part j'assurais bien évidemment les nuits, dormant sur place avec un duvet de montagne. A l'aube l'émission du matin prenait l'antenne en annonçant les derniers potins militants. " Cette nuit l'équipe "nuit off" a dormi dans le même duvet que la technicienne de l'émission théatre." Les auditeurs adoraient. Le mari de la pauvre théâtreuse qui écoutait en prenant son petit déjeuner avala de travers sa tartine. Et nous eûmes beau expliquer à nos conjoints respectifs que seul le froid nous avait poussés à partager la même couche. Nos agapes militantes durèrent une semaine qui nous laissèrent au matin radieux et épanouis. N'avions nous pas appliqué à la lettre les textes de Léo Ferré "amour et anarchie" là ou les autres ne voyaient, les incultes : qu'adultère ?
Ma compagne de l'époque partageait parfaitement mon point de vue et en réponse à ma soudaine passion pour les théories de "l'amour libre" jeta toutes mes affaires par la fenêtre rue de Ménilmontant un samedi matin. J'avais dû rater quelque chose dans le passage de la théorie à la pratique qu'une longue période de célibat devrait régler sans problème.
Deux gros émetteurs italiens ronronnaient à l'arrière du studio. Les machines nous offraient enfin la stéréo. Les deux bêtes couplées ensemble produisaient une telle chaleur qu'il fallut installer une climatisation dans le local des émetteurs. Le rôle des animateurs en plus de répondre au téléphone animer les émissions, ne pas faire le ménage et passer des disques consistait désormais en une mission de la plus haute importance : retirer régulièrement la glace qui s'accumulait sur la clim, au risque de faire caler la machine à rafraîchir. Ce qui aurait pour conséquence de faire monter la température et disjoncter les précieuses machines à propulser nos voies sur les ondes. C'est donc avec les mains gelées que je retournais aux manettes, et ce plusieurs fois par nuit. Avoir l'onglet en plein été n'était pas si grave : nous n'étions pas à une contradiction prés. Mais l'affaire des émetteurs italiens prit une vilaine tournure. L'antenne étant sur le toit le l'immeuble d'habitation où se cachait le studio. Les ondes propulsées avec une nouvelle puissance avaient une liberté nouvelle et s'insinuaient partout. Un matin le concierge vint sonner à la porte. Il s'excusait, mais ne comprenait pas comment en faisant griller son pain ce matin il avait entendu des voies sortir de l'appareil. Le malheureux n'était ni fou ni son grille pain hanté, il avait bien reconnu les programmes de radio libertaire. La puissance des ondes était telle que la résonance se faisait dans tous les appareils électriques de l'immeuble. Le pauvre homme n'avait plus d'autre choix soit adhérer à la FA soit se mettre au régime. Je lui conseillais plutôt les biscottes, mais cela ne le fit pas rire.
Nous avions inventé un système implacable d'audimat qui fonctionnait à merveille sur l'échantillon représentatif des habitants de l'immeuble qui défilèrent tous les uns après les autres pour commenter les émissions reçues qui dans un aspirateur ou la machine à laver ?
La stéréo était à ce prix. La copropriété ne l'entendait pas de la même oreille.
Nous entretenions avec les habitants de l'immeuble un dialogue de sourds.
La radio grandissait, plus question de faire des réunions dans la petite arrière-boutique de la librairie. Les réunions se transformaient en grande messe, bien que l'expression à elle seule constitue une offense pour mes amis. Elles devinrent des "agés". Assemblées générales qui se tenaient pour la plupart rue des Vignoles dans un local de la CNT. J'aimais y venir tôt discutant avec de vieux Espagnols en buvant un bon rouge d'Afrique du Nord. Le nombre des animateurs devenait imposant... Cela fut un jour l'objet d'un débat animé et l'occasion de voir un des responsables de la radio, militant anar de longue date éructer. La discussion était houleuse, car les animateurs "non membre de la fédération anarchiste" voulaient peser sur certaines décisions de fonctionnement. Hors les responsabilités de la radio sont nomées par le congrès annuel de la fédération et non lors de ces Ag. Pour clore le débat, il prit le micro et d'une voie solennelle s'écria d’une voie de ténor : "la fédération anarchiste est propriétaire de la radio ! "
Un silence pesant aplatit la tirade ... D'aucuns auraient pensé à une autre formule attribuée à Brissot de Warville et proférée par Pierre Joseph Proudhon " la propriété c'est le vol", mais personne ne moufta. Ni les militants anarchistes ni les autres : conscient que leur compagnon venait de clore pour toujours un débat sans cause ni effet.
Nous ne fument pas nombreux à éclater de rire, ce qui dans une assemblée de plus de cent personnes ne passe pas inaperçu. Il fallut quitter la fameuse réunion hilards un peu comme nous avions l'habitude de le faire discrètement, ressortir du studio en faisant gaffe de ne pas faire grincer cette porte .
Mais l'heure était grave, une de plus, celle où la petite équipe devait enterrer ses morts. Le grand Jacques, oui celui des "bandes sans fin" venait de succomber des suites d'une opération. Nous étions plus de 200 je crois, au cimetière de Pantin à accompagner notre ami. Tout comme nous allions accompagner Julien (celui des émetteurs italiens) et celui-là même dont je viens de parler précédemment et dont je préfère taire le nom. Jamais je n'aurai pensé en entrant dans ce studio miteux de Montmartre ce jour-là pour ma première émission que j'allais être aussi triste de perdre des proches. Jamais je n'aurai cru possible que ces années de tourment et d'invention d'une radio puissent être à ce prix. Je bois un verre de vin dans l'atelier d' André Robèr en cet après-midi frileux. Nous buvons à la santé de notre Jacques avec le sentiment profond d'avoir perdu un frère. Je voudrais boire plus pour ne plus ressentir pareille douleur...
Le destin est ainsi que mon véritable frère sera terrassé quelques semaines plus tard par une crise cardiaque et que je n'en aurai, j'ose à peine l'avouer, bien moins de tristesse. Mais mon deuil ne s'est-il fait que dans ce mélange des genres. N'est-ce cela que je devais apprendre au côté des anarchistes ? Cela me convient aujourd'hui parfaitement ! C'est cela la vie, la vraie : comme entendre à l'antenne les "babillements" du bébé d'Alexandrine, responsable de l'émission littéraire, tandis qu'elle interview un écrivain sans doute médusé de faire une émission avec un poupon sur les genoux... Et la pause musicale tout à coup est-ce pour donner le biberon ? Je ne saurais jamais.
Je vis la nuit, dans Paris, au sortir d'un bar, d'un concert, d'une soirée, je vérifie chaque soir machinalement ce qui se passe à l'antenne. En cas de silence, je fonce au studio avant de me coucher, combler ce blanc d'antenne par une de nos fameuses "bandes sans fin" et rentre me coucher avec le sentiment du devoir accomplit. Je bénéficie désormais, suprême privilège, d'une clef personnelle. Les ondes de la radio coulent dans mes veines sans que jamais je ne me sois posé la question ni du pourquoi ni du comment..
Un jour de grande tempête j'entends que le plus grand silence règne à l'antenne. Je fonce au studio en moto. Sur le chemin le vent fait pleuvoir des branches d'arbres et les terrasses de cafés ressemblent à des jeux de quilles. La grande antenne sur le toit de l'immeuble est arrachée. J'entre en trombe dans le studio. Là, comme si de rien était, ne percevant rien du monde extérieur en tornade, une émission, remplit d'invités prestigieux bat son plein. Il règne ici un calme apaisant tandis que dehors la tempête fait rage... On interroge, on répond. Comme je me tourne vers les responsables pour leur indiquer que " ça ne passe plus à l'antenne " on me regarde avec une moue anxieuse :
- Oui, on le sait, mais on a pas osé l'avouer à nos invités ! Alors on continue comme si de rien n'était .
On reste là, jusqu'à la fin avec quelques copains arrivés à la rescousse pour ne rien trahir du respectueux mensonge. On attend donc "religieusement" la fin de "l'homélie" et le départ des invités pour vite commencer les travaux et remettre en route notre radio.
Nous allons devoir quitter Montmartre où j'ai mes habitudes, les patrons des café et des restos du quartier sont devenus des copains, même le russe me prête des disques vinyles de rock introuvable. Parfois tard le soir tard quelques artistes musiciens chanteuses et chanteurs célèbres ou non, passent au studio, vers 4 heures du matin avec une bouteille, car il y a de la bonne musique. Juste comme ça. Tout semble tellement évident. Parfois sans prévenir il poussent la chanson avec une guitare et un sourire. Puis on rentre chacun chez soi heureux du moment partagé.
Epilogue de l'huile.
Nous venons de déménager, nous sommes arrivés dans un beau studio au rez-de-chaussée. Un vrai studio de radio. Les auditeurs ont contribué grâce à une souscription à l'achat du local.
Ma première nuit dans le nouveau studio. En guise de champagne : une bière.
Un appel.
C'est un auditeur...
- Vous savez ? Ça fait 15 ans que j'écoute votre radio ! C'est bien que vous ayez de nouveaux locaux. Il y a tout de même un truc que je voulais vous dire à propos de l'ancien studio. Durant 15 ans j'ai entendu cette porte qui grince à chaque fois que quelqu'un entrait dans le studio. Et durant 15 ans j'ai écouté inlassablement. Rien n'y a fait, jamais personne n'a pensé en 15 années de directs à mettre un goûte d'huile à cette satanée porte.
Allez salut et vive l'anarchie !
Laurent Nicolas.
note de l'auteur :
Ce texte est un brouillon à corriger d'une nouvelle que je rêverai d’écrire. Que l'on m'excuse si je n'ai ici pas toujours respecté la chronologie ou romancé quelque peu certains faits, si de mes oublis ou mes formules j'ai blessé certains. Les souvenirs s'entrechoquent ainsi et il ne m'appartient pas d'écrire l'histoire de cette radio (d'autre l'on fait bien mieux que moi). J'avais envie de livrer avec un peu de légèreté quelques anecdotes et ce qui n'est que mon rôle très subalterne dans les rouages de cette aventure radiophonique.
bravo!mp a suivre sur tes boites mails....
Rédigé par : Mohamed | 15 octobre 2021 à 10:45
C’est à toutes les personnes qui ont participé à Radio libertaire qu’il appartient d’en écrire l’histoire.
Rédigé par : Mel | 15 octobre 2021 à 13:40
C’est une épidémie de départ à Radio Libertaire, à laquelle s’ajoute des émissions qui n’ont pas repris après les confinements. La fin de nuit off signe avec celle de l’émission Trafic, le départ des animateurs historiques de cette radio qui comme sa librairie de la rue Amelot semble vivre une terrible agonie. Il n y aura désormais plus que ces pitoyables « bandes sans fin » dont tu parles si bien sur cette antenne, en lieu et place de créations radiophoniques originales.
Rédigé par : Luce lo | 18 octobre 2021 à 09:32
Comme dans nombres radios de ce type dès lors qu’il n’y a plus l’esprit maison, on s’ennuie terriblement en tant qu’auditeur. J'aimai bien aussi radio nova. je continuerai à suivre les plays list sur deezer si tu en fait encore ?
Rédigé par : luc machin | 18 octobre 2021 à 09:36
je n'avais pas compris que tu suspendais aussi ton émission ... suite MP
Rédigé par : fred | 20 octobre 2021 à 01:11
Fred contente de constater que tu es en retard , lol le rendez vous des insomniaques est aussi ici sur le même sujet ...
https://florealanar.wordpress.com/2021/10/14/radio-libertaire-nuit-off-sarrete/
un sujet?
Rédigé par : Isa | 20 octobre 2021 à 01:21
Il n y a ni sujet, ni maîtres dans cette affaire, je signal seulement ici que les commentaires sont automatiquement fermés au bout d'un certain temps sur ce blog.
Rédigé par : Laurent Nicolas | 24 novembre 2021 à 23:55