Pris au piège par la tourmente d’un hiver qui ne semble jamais finir en Alberta, notre narrateur griffonne sur son carnet noir quelques impressions.
À la fonte des neiges s’ajoute la pluie qui n’a pas cessé depuis des semaines. L’herbe en bas de la maison est devenue une pente glissante sur laquelle la chienne et moi faisons du surf à la tombée de la nuit en allant chercher du bois. Les chevaux deviennent nerveux dans les box. Et lorsque nous les sortons tout glisse, s’enfonce comme dans une tourbe spongieuse et les prés ne sont que boue, l’herbe s’arrache et disparaît en un marais. Il n’est plus question de les faire courir au risque de les voir se blesser. Je préfère les tenir à l’abri pour quelques jours, le froid reviendra sans doute, le gel arrangerait tout, la pluie s’arrêtera à un moment ou un autre. Le soir au coin du feu couvert de terre, la chienne semble me regarder en me demandant ce que nous sommes venus faire ici ? Je n’ai plus de réponses, nous sommes trempés, la cheminée fume et refuse elle aussi de se débarrasser de cette fin d’hivers humide. Il pleut comme une lente et interminable sentence qui nous prive de sorties. Le froid glaçant parachève de mettre de mauvaise humeur. La chienne reste des heures durant à regarder par la fenêtre comme un prisonnier derrière ses barreaux.
La difficulté est justement que je ne peux jamais savoir dans quelle mesure je suis moi-même l’auteur des conjonctions qui s’effectuent autour de moi, on se sent vite coupable. Mais de cet hiver qui va encore durer, il reste la route en contrebas du domaine qui nous appelle et dont retentit le chant des trucks en route vers la frontière de l’état. Parfois lorsque je démarre le camion pour vérifier que le moteur tourne toujours, elle me regarde en remuant la queue. Oui bientôt nous rentrerons à la maison dès que nous aurons fini ce vilain contrat.