Las de ces journées à garder des chevaux qui n’ont cure de son existence, il lui arrive de prendre la route, de longues heures durant, pour retrouver une grande ville, comme si l’air vicié lui manquait, tel un batracien qui hésite encore entre le vide et l’apesanteur.
Des souvenirs diffus reviennent instantanément. Des quartiers douteux, des artères qui se colmatent aux heures de pointes et des embolies urbaines qui font finalement l’odieuse et belliqueuse géographie capitale. Il aimait cela avant… Encore une fois on s’y bouscule, on s’invective, pour soi-même en s’engouffrant dans la bouche du métro : participer d’un charnier enchevêtré de passager de seconde zone dans un transport collectif à l’agonie. Etouffer et penser à Moby-Dick* et remonter en apnée à la surface ? Sortir du ventre de la baleine pour retrouver l'air pur. Mais là en lieu et place de l oxygène : l'éther. A nouveau irrespirable. Des bagnoles embouteillées, des trottoirs saumâtres et des files d’attente agressives. Les gens se bousculent, les piétons se gênent comme des fruits qui se matent dans un panier à l’arrière d’une carriole. Pourtant, tout concourait ici à tisser une toile si familière qu’on ne la remarquait même plus.
Pourtant, n’importe quel être sensé n’accepterait pas cela une minute, tout animal sauvage éclairé prendrait la fuite. La ville est là, la cité aux façades patibulaires, des places en chantier déroutant de suffisance, pathétiques dans leur effort de démontrer toute la complexité des éventrations successives des services discordants de la voirie. Oui, franchement, tout être doté d’un soupçon de bon sens aurait dû prendre la fuite à l’instant même.
C’est sans doute ce qu’il fit, prétextant un crime d’honneur à commettre pour quitter sa ville natale.
*
Mais qui s’intéresse au fait que le personnage de Moby-Dick Le capitaine Achab se décompose physiquement, consumé par le désir de vengeance ? On ne se souvient que du combat, l’échec ou la victoire.
On raconte que Melleville fut obsédé par un de ces derniers poèmes, le reprenant plusieurs fois, pour en définitive le développer et en faire une nouvelle, puis un roman. Avec des périodes d'interruption, il y consacra plusieurs années, n'arrêtant d'y travailler qu'en avril 1891 quelques mois avant sa mort.