Terra desconocidas
Je n'ai aucun gout pour les souvenirs, ils sont trop vite encombrés des reliques de la pensée et de sentiments fumeux. Pourtant aller au marché de Figueras faire quelques courses ce mercredi, a ranimé une mémoire à l'arrière-gout de voyage dans le temps :
Ce texte est un brouillon à corriger d'une nouvelle que je rêverai d’écrire :
Nous avions 20 ans à peine, nous étions parti à trois amis, Sancho, Maria Toboso et moi-même pour la catalogne en cet été ou l’on annonçait la mise en place d’une monarchie parlementaire suite à la bienheureuse agonie du vieux Franco. Heureux de la mort de la dictature et impatients de mettre les pieds en territoire ibérique, nous priment la route à destination d’Ulldemolins, village de la province de Tarragone dont était issue la famille de notre chère Maria Toboso.
Le père de Maria avait fui le village 40 années plus tôt, comme bien des républicains. Sa maison avait été réquisitionnée par les fascistes pour devenir la mairie. Outre le désir de découvrir ses terres d’origine, notre chère Maria, en digne fille de réfugié nourrissait le souhait de faire l’inventaire des biens familiaux. La chute du tyran sonnerait l’heure des restitutions foncières.
Pourtant nous n’en menions pas large en passant la frontière à bord de notre petite Ford fiesta qui pour l’occasion fut, évidement rebatisée : Rosinantes. En effet Sancho et moi avoins en réserve quelques condamnations mal acquitées qui nous auraient valu sans doute l’arrestation pour peu que le douanier français vérifie notre pédigrée. Nous sautâmes donc les Pyrénées en douanes discrètes à Puigcerdà et sommes entrés dans une Espagne en deuil de son Caudillo à l’aube, nous avions roulé toute la nuit… La douane française fut indifférente, la barrière était baissée coté Espagne. Les carabiniers avaient l’arme à la main et le passeport français de Maria retenu toute leur attention. Ils lui parlèrent en Castillant. La belle l’avait appris au collège et sentant le piège éhonté répondit dans la langue de Madrid et avec un accent français manifeste : « bamos a la playa ». Cela fit sourire le douanier qui nous souhaita de bonnes vaccacionnes. Leur aurait-elle répondu en Catalan, langue paternelle qu’elle parlait couramment à la maison, aurions nous été d’office conduits au poste ? J’imagine torturés, peut être tués ? J’exagère, je pense. j’en doute. Mais nous ne saurons jamais heureusement. Rossinante calat deux fois au moment de démarrer, mais finit pas s’ébrouer et nous sommes repartit en cahotant sur la petite route en lacet de ce nouveau jour. Le chemin surplombait la vallée asséchée de vignes abandonées et d’olivier peunods.
Sancho était aux anges, je conduisais en somnolant tandis qu’il entonnait Bella ciao. Je lui rappelais que ce qu’il prenait pour un hymne antifaciste, était surtout le chant des saisonnières Italiennes qui désherbaient les rizières de la plaine du Pô et repiquaient le riz, pour dénoncer leurs conditions de travail. Tout celà n’était pas trés local !
Maria ne parlait plus, elle avait le visage fermé, regardait le paysage défiler. Voilà donc le pays qu’on lui avait refusé. Se sentait-elle de retour chez elle en ce territoire qu’elle n’avait jamais eu le droit de connaître. Se sentait-elle en tierra desconocida? Nous ne le saurions jamais, elle ne dit plus rien jusqu’a l’auberge ou nous passâmes la nuit suivante…
J’oublie vite, je ne sais plus si la belle couchait avec Sancho ou moi à l’époque. Elle nous avait, à tour de rôle éconduit et repris plusieurs fois tant et si bien que ce soir-là dans la pension où nous avions trouvé refuge je ne me rappelle plus contre lequel d’entre nous elle se serra, ivre de rage, de passion et d’étreintes fougueuses auxquelles elle nous avait habitué…
La place unique d’Ulldemolins était encadrée de chaque côté de l’église de ruelles étroites. Il convenait dès notre arrivée de ne pas nous tromper de café. L’un était le QG des fascistes, l’autre des opposants. Ainsi des années après la guerre civile, pousser la mauvaise porte en fermait d’autres. Maria la déracinée avait le sentiment d’entrer en intimité avec les lieux tant on l’avait abreuvée durant son enfance de souvenir qui se refusaient à elle. Alors, le retour au pays refusé était comme la vue que recouvre l’aveugle, elle savait ou aller, à qui parler et s’installant à une table en terrasse avec nous elle était convaincue que désormais, comme si on lui avait retiré un bayon, les mots libéreraient l’histoire… Elle parle, elle n’a plus peur, progressivement les visages s’entrouvre et les sourires se font accueillants dans ce café républicain… Il y avait autant de tensions que de joie, de regards inquiets que de larmes à recevoir la fille du poète libertaire. C’est ainsi que l’on surnommait à l’époque le paternel de notre amie. La raison de son exil fut éventée : Il n’avait que 20 ans, écrivant des poèmes à la fille d’un notable dont il convoitait les faveurs. Il n’avait jamais brandi les armes durant la guerre, mais sa plume avait écorné l’humeur d’un fasciste qui le condamna à mort. Toute la famille prit la fuite. Maria souriait, son patriarche était un sentimental.
On buvait le Vermouth accompagné d'anchois et des olives noires en écoutant les langues se délier et les histoires de familles se mêler aux rancœurs de villages. J’étais ivre, tout semblait troublé comme les certitudes des belligérants au regard du temps qui passe. On me demanda mes opinions politiques, car ici, tout se découpait en deux façons de boire. On croyait en Dieu, en Karl Marks et Bakounine avec du vin blanc de messe ou rouge sang de la révolution ! Je demandais seulement à Maria de traduire ma réponse pour nos nouveaux amis :
« Je crois qu'au fond ce qui est tragique c'est l'impossibilité d'être quelqu'un d'autre. »
Un vieil homme que l’on appelait « profesor » éclata de rire dans le fond du café.
- Sais-tu insolent, qu’avant de citer Servantes tu devrais te demander pourquoi ce village s’appelle Ulldemolins ? Le lieu où se trouvent des moulins alors qu’il n’y en a aucun !
La boucle était bouclée, nous vivions dans une époque qui n’avait déjà aucun intérêt, il n’y avait plus de géants à terrasser.