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L'ile laurent nicolas
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Il était arrivé dans cette île tropicale , idéalement reculée du monde pour y séjourner le plus longtemps possible, tans que ses finances le lui permetrait du moins.
Il avait trouvé pour se loger un petit appartement meublé, dans une résidence un peu à l’écart de la zone touristique. Le vaste studio donnait sur une jolie terrasse surplombant une petite piscine commune aux autres habitants. Lesquels étaient en général des saisonniers, cuistots, agents immobiliers, coach-sportifs. Ils venaient là pour quelques mois, faire « la saison » comme l’on dit, avant de retourner soit vers les pistes de ski soit vers les plages d’un autre émisphère. Une petite communauté de la middle class se partageait donc la résidence, des expatriés « lève tôt », et « couches tard » qu’il ne tarderait pas à fréquenter à l’occasion d’un bain tardif, d’un poisson grillé ou au long des attentes dans la laverie ou trônait quelques machines à laver collectives. La laverie : haut lieu culturel était devenu au fil des fréquentation, une véritable bibliothéque internationale ou se côtoyait les versions en anglais de Pearl Buck à des magazines de tuning en allemand. On y feuilletait des journaux périmés en discutant en franglais entre colocataires internationaux. Bref en deux semaines un semblant d’organisation sociale parfaitement huilée s’imposait. Habiter dans ce quartier de saisonnier studieux avait l’avantage pour notre protagoniste de le laisser au calme toute la journée. Cette ruche s’activait dés 5h du matin et les dernières voitures étaient toutes parties,en général, pour 6H. Il restait donc seul tout la journée à arpenter cette espèce de village deserté, en short à la recherche d’un coin d’ombre pour lire ou écrire avant de plonger dans l’eau chlorée du bassin collectif. La vie ne reprenait que vers 21h lorsque les forçats du tourisme de luxe rentraient de leur journée de turbin et ouvraient alors quelques bouteilles qu’ils partageaient volontiers avec un ou deux voisins pour tromper leur solitude. Ils n’étaient plus si jeune, certains avaient été mariés, d’autres avaient des vies ailleurs. Tout se passait pour eux comme s’ils avaient des existances en escales. Un type d’une quarantaine d’année, peau hâlée et yeux bleu turquoise était croupier sur les bateaux, il expliquait qu’il retournerait bientôt en Indonésie où vivait sa seconde femme et sa fille qu’il n’avait pas vu depuis 2 ans. Il aurait bientôt assez d’argent. Son voisin évoquait une vilaine condamnation à une peine de prison qui lui interdisait tout retour et une troisième, coiffeuse, évoqua rapidement un enfant malade laissé à Rotterdam chez sa mère et dont l’opération allait coûter bien cher.
On aurait pu songer à une de ces communautés dont parle Jack London lorsqu’il évoque le klondick. De ces hommes et femmes projetés sur cette terre inconnue pour s’enrichir vite, ou seulement travailler. Pourtant dans cette confrérie, on se considérait privilégié, coincé pile-poil entre les hôtels qui barraient la vue à la mer et les bidons villes d’ou parvenait parfois les odeurs du marais et du poisson grillé, cette zone-là était inférieure, car pourvoyeuse de femmes de ménages et de cireur de godasses. On était géolocalisé entre les deux, dans la classe moyenne. On avait les moyens d’une voiture de location et d’une piscine collective.
L’île était un microcosme, une incroyable reproduction de la société capitaliste dans toute sa splendeur. On évoquait avec admiration la venue en jet privé, du PDG d’une chaîne hôtelière de luxe dans sa propriété des hauts. On ne l’avait jamais vu, ni lui ni la bâtisse, cachée derrières des hauts murs, coiffés de barbelés. On connaissait les miradors et ses agents de sécurité avec qui parfois on partageait le café. La guerre économique avait bien ses forteresses. On en était ses soldats.
C’est donc dans ce paysage sans grand étonnement que survint l’événement.
Notre narrateur partait parfois à pied jusqu’a un amas rocheux qui surplombait un étang infesté de moustiques, des cases misérables le bordaient et un autre village se dessinait au loin. En marchant jusqu’à la station de bus il constait que l’autre coté de l’île fonctionnait en miroir du siens, avec fange au bord des étangs, puis un petit quartier blanc des saisonniers construit autour des aires de stationnement et cette fois en plus des hôtels quelques tours surplombant la plage abritaient des étages entiers de magasins et de discothéques.
Il vivait à l’écart de toute cette activité touristique et regardait cette effervessance comme un observateur amusé, constatant l’incroyable obsolescence du modèle social, mais aussi sa perfection inaltérable de machine à cash. Car tous, quelque soit leur quartier d’origine, les piqûres de moustiques ou leur voiture coréenne de location, tous couraient après les dollars, qu’ils arboraient, roulés en liasse dans les poches ; les distribuant aux larbins pour les plus riches, les sortant sur les tables de poker, les glissant dans la main d’un marin contre du poisson pour d’autres, les repassant contre du « mets » ou du rhum dans les bas-fonds.
Car l’île paradisiaque avait à l’arrière du « front de mer » ou trône les bars à cocktails avec pianiste à toute heure, un bas-quartier sans soleil et sans ramassage des ordures. Là, juste derrière les avenues bordées de palmiers, les rades sordides ou traînaient quelques filles et des chiens galeux devinrent vite son lieu de pèlerinage l’après-midi. Là au moins, il pouvait boire une bière fraîche au tarif insulaire. Car les prix dans ce genre de système s’adaptent à la géolocalisation…
C’est donc dans un de ces bars, sous la chaleur terrible du soleil bombardant les tôles ondulées qu’on lui apprit la nouvelle :
- Un virus était arrivé.
Tous ceux qui ont vécu sur une ile savent l’importance qui est donnée à ce qui arrive de l’extérieur. On s’intérèse aux horaires des avions, aux arrivages des marchandises et des navires. On se passionne dans le journal pour les nouveaux arrivants, personnalités, stars du show busness ou du cinéma en vacances. Les îliens fonctionnent comme des villageois curieux et inquiets de ce que tout évènement qui changera leur quotidien arrive obligatoirement de l’extérieur. Cette fois ce n’était ni un homme d’État ni un cyclone, c’était la mort himself qui s’invitait à prendre le thé.
On replia les échoppes, on fermait les boutiques, en quelques heures déjà il était trop tard. Le marigot tremblait et les saisonniers pliaient bagages. Masque sur le nez et gel hydro alcooliques en poche, il chargeait leur voiture pour sauter dans le premier vol vers une civilisation moins contagieuse.
Alors que des épidémiologistes auraient de manières rationnelles cherché à isoler le patient zéro, on ne s’intéressait déjà plus à la façon dont la chose était arrivée dans l’île. On savait trop comment elle ne ferait pas de détail et comment elle ravagerait tout en quelques semaines. Comme lors de l’annonce d’un tsunami, d’un coup d’état, d’une guerre civile. Les expatriés rentraient, les touristes annulaient et déguerpissaient, les riches se calfeutraient et le reste commença à tomber malade gentiment dans des hôpitaux submergés.
Cette fois l’épidémie provoquait des fièvres hémorragiques et aux risques de contamination viral on craignit le choléra. On aurait donc fromage et dessert.
Le petit Klondike résidentiel s’était totalement vidé, il n’y avait plus personne pour nettoyer et traiter la piscine qui devint verte en moins d’une semaine. Un filet de vie pourtant continuait au ralentis, quelques rares boutiques et un ou deux camions de livraison… Tout se passait comme si, après un moment de tumulte et de panique, la l’île s’endormait laissant place à une nouvelle organisation de ville fantôme. Il se rendit dans quelques grands hôtels déserts où le personnel désoeuvré restait en poste avec des masques. On le conviait à prendre un repas sans qu’il n’eût à le demander. Il avait l’allure du dernier client. Quelques jours plus tard, il se rendit à pied jusqu’aux hauteurs pour admirer le calme revenu sur cette fourmilière. Tout était silencieux. À l’arrêt. La peur avait gelé toutes les activités et les gens restaient confinés. Plus aucun véhicule ne circulait là ou d’habitude tout n’était qu’embouteillage et tintamarre des klaxons.
Il revint plusieurs fois de suite devant les grilles de la belle demeure pour profiter de la légère brise du large et de la vue. La chaleur restait étouffante plus bas, à moins que ce ne soit la situation ?
Au bout de trois jours de cette longue marche, le gardien de la propriété lui ouvrit les portes pour lui offrir un verre d’eau fraîche et lui fit visiter les jardins du domaine. Il s’ennuyait ferme le vieil homme, et tous deux apprécièrent la conversation sur les arbres et les sculptures du parc. Le systhème d’arrosage gaspillait de l’eau douce pour la pelouse et le vieil homme à la peau tanée par le soleil se fit guide par désoeuvrement, arborant un joli sourire édenté. Les propriétaires de la somptueuse propriété étaient en croisière pour de longs mois et au vu des évènements ne risquaient pas de revenir.
Lui non plus n’avait pas peur du Virus. Ou du moins lui non plus n’en avait pas les moyens. Ils devinrent amis et se retrouvaient chaque jour pour discuter face à la mer en scrutant le ciel et ses dessins de nuages.
Les semaines passaient avec leur lot de douleur et de malades. Les autorités étaient alarmistes, mais de plus en plus de cas touchaient les quartiers du centre. Vers les bassins du port, vers les étangs, partout où vivait le petit peuple, Ce sont les quartiers entiers où habitaient les plus pauvres que la maladie se répandit. Arrachant les moindres lambeaux d’espoir qu’ils pouvaient encore avoir dans cette civilisation, les habitants du bas de l’île furent décimés. Vinrent ensuite quelques travailleurs saisonniers, des imprudents qui avaient continué à aller bosser ou des malchanceux.
Des sacs noirs en plastiques apparurent le long des routes que des camions de chantier ramassaient le matin.
Là-haut dans la résidence de luxe qui surplombait la baie, installé à la table du maître, le gardien et notre personnage commentaient la situation avec nonchalance. Quiconque aurait surpris leur conversation aurait pu s’imaginer deux vieux philosophes alcooliques, désabusés par l’état de la condition humaine. On goûtait chaque journée dans un état particulier. Installé là, dans la chambre du chauffeur libanais, partit dès le premier jour, notre narrateur buvait du vin de madère avec le gardien de ce temple du luxe. Les bombes s’abattaient sur la ville, les sirènes des ambulances criaient leurs sentences, mais les frigos de la belle propriété restaient pleins et la cave bien pourvue en vin californien.
Un mois ou deux se déroulèrent comme une tragédie qu’il regardèrent défiler d’avant eux avec effarement. Plus bas la ville restait terriblement silencieuse.
La nuit, les enseignes des hôtels restaient encore allumées, mais de jours en jour celles des maisonettes du centre de l’île s’éteignirent progressivement. Vu de leur point d’observation bientôt une partie complète ne s’alluma plus du tout le soir. Jamais ils nurent autant peur du noir.
Pourtant, un matin de décembre on annonça que tout était fini. On allait désinfecter les étangs, passer les moutiques au DDT, les bidonvilles à la pelleteuse, nettoyer les hôtels à l’eau de javel et reprendre une vie normale. Dés les premières semaines on vit réapparaître des visages souriants, des riches sortaient de leur tanières et les commerçants réouvrient leur boutique, puis la semaine d’après les premiers bateaux revinrent.
Les gens des hauts redescendirent faire eux-mêmes leurs courses ; n’envoyant plus leurs employés pour redonner confiance aux survivants. Alors de nouveau des petites voitures coréenes circulèrent sur la route du litoral. Le virus était passé ou du moins c’est ce que les autorités annonceraient pour que l’activité économique puisse redémarrer.
Il était temps de partir, le pire était sans doute à venir, Il fit ses adieux au gardien « du château » et prit un vol domestique jusqu’à la capitale la plus proche. Lors de l’escale, il se rendit compte que le monde n’avait pas bougé de place. Dans quelques encablures d’avion il retrouverait le bourdonnement de sa ville natale. Les Aéroports étaient surchargés. Tout était désepérement normal. De beaux écrans publicitaires vantaient les bienfaits des cartes de crédit et des hôtels au bord de la plage… De jolis couples d’Américains en vacance attendaient leur correspondance en direction de l’île et des jeunes garçons noirs, en livrée, poussaient leurs chariots surchargés de bagages. Il eut la nausée. Était-ce l’odeur ou l’aseptisation de l’air conditionné en gage de civilisation retrouvée? Il ne put réprimer son hoquet et vomi sans retenue.