Yan s’était levé vers cinq heures du matin. Ce n’était ni une obligation ni une habitude. Il était réveillé, voilà tout. Inutile donc de rester au lit. Il allait profiter des premières lueurs du jour sur la ville tout en déjeunant. Il allait regarder les lumières de la nuit se jouer des lucioles du matin. Les petites fenêtres des « lève-tôt » s’allumaient tandis que finissaient de s’éteindre les éclairages publics ; dernier fanal guidant les « noctambules » jusqu’au lit. Chassé-croisé, résumé en jeux des lueurs. Le passage d’un jour à un autre dans la capitale. Ce sont des silhouettes calmes, fatiguées d’une nuit festive croisant le pas pressé du travailleur matinal. Tous unis dans le temps du premier métro.
On s’affaire à la machine à café, on distribue les journaux, on met en marche les bus. Tout en cette répétition relève d’un spectacle bien rodé, d’une représentation qui se joue chaque matin. De multiples engrenages humains relançant l’énorme machinerie du quotidien.
On se presse, on se bouscule, on se serre dans les métros, les ascenseurs, les parkings. On se salue, on se souhaite une bonne journée. On l’espère, on imagine déjà les angoisses à peine déguisées derrière la poignée de main et les bises matinales : survivre une journée encore. Rien ne remet vraiment en cause cette angoisse que cette rassurante routine. Chacun reprend le chemin et la place qui lui est assignée. Chacun graissant le rouage d’une crémaillère invisible s'amarrant les uns aux autres en une longue chaîne de servitude volontaire.
Quelques-uns pourtant ce matin là, n’y allèrent pas.
Tout commença la veille avec les textes défilant du journal télévisé.
Évidemment cela semble insignifiant. Mais Yan en avait conscience, il avait fallu cet incident dérisoire, un grain de sable dans l’engrenage de sa petite vie routinière. Il s’était levé tôt ce matin, avec seulement l’intention de regarder par la fenêtre, éventuellement descendre boire un café à la brasserie du métro. Sans doute, acheter un journal, marcher le long du boulevard ou plus loin : jusqu’au jardin public. Depuis combien de temps n’était-il pas allé se promener dans son quartier ? Chaque jour, depuis des années il parcourait sans arrêt le même chemin, les mêmes gestes, presque les mêmes pas. Les uns sur les autres. La femme qui promène son chien serait en retard et le magasin du coin de la rue resterait fermé. Car oui, ce matin-là comme quelques autres Yan n’irait pas bosser. Tout était arrivé la veille tandis qu’il se servait un croque-monsieur sur la table basse devant la télé.
Le présentateur du journal de 20 heures commentait comme à son habitude, d’une voix monocorde les catastrophes, guerres et crises économiques, il annonçait qu’un ministre avait la situation en main tandis que l’opposition pensait qu’il se débrouillait comme un pied. Yan n’oubliait jamais de mettre une feuille de salade avec son plat chaud. Il la prenait à la main dans un sac de cellophane. Voilà bien longtemps qu’on achetait plus de salade autrement que pré-lavée et sous vide. Tout, même dans les catastrophes ferroviaires et les épidémies, était habituel, rassurant et imperméable. Les mots utilisés, eux-mêmes, étaient rigoureusement identiques d’un jour sur l’autre. Il y avait un choix limité de vocabulaire et de conjugaison. On bannissait ici les accents régionaux comme les compléments d’objet indirect. Un subjonctif au journal télévisé relevait du juron, voire du blasphème. Bref ! Yan, comme la gardienne du 23 Avenue Marceau, qui tous les jours sortait son chien à la même heure, le directeur de la grande enseigne d’électroménager du bas de la rue et quelques autres regardaient leur journal télévisé rassurant en se servant, un verre de vin, un soda ou un simple verre d’eau fraîche. Lorsque se produisit cet épiphénomène banal et pourtant aux répercussions inéluctables. Pendant que le présentateur parlait comme à l’habitude, un texte défilait en bas de l’écran, envoyant en phrases courtes, des flashs d’infos, les cours de la bourse et les prévisions météorologiques.
Soudain ce bandeau familier s’interrompit.
Sur l’instant, personne n’y prêta évidemment attention.
Yan s’en rendit compte, mais profitait de cette interruption pour avaler une bouchée de son croque-monsieur. Le pain n’avait pas plus de goût que le fromage et il se dit qu’il faudrait changer de marque, ces produits congelés étaient décidément comme les tournures de phrases du Journal télévisé : parfaitement aseptisés. On attendait avec impatience un écran publicitaire. Ça au moins c’était rythmé et plein de jolies filles.
Puis le bandeau rassurant se remit en marche, revint un peu sur ses pas en marche arrière. Il y avait un texte banal annonçant les cours de la bourse. Puis il s’arrêta de nouveau. Chacune des lettres composant le message banal disparurent. Effacées une à une.
Cette fois, les millions de téléspectateurs avaient remarqué l’incident technique. Bien évidemment le présentateur continuait ses annonces sur le ton monocorde que lui imposait sa mission. De là où il était, il ne se rendait compte de rien. Il ne savait pas ce qui se produisait sur la partie basse de l’écran.
De l’autre côté dans les salons, les cuisines, dans les halls des hôpitaux, les aéroports et les loges de concierges, on s’inquiétait, on souriait, on s’amusait de cette anicroche.
Puis les chiffres du Cac 40 en bas de l’écran s’effacèrent un à un. À la surprise générale, un nouveau texte se mit à défiler :
" Bonjour, je suis le texte défilant en bas de l’écran et je m’appelle Clara, depuis 12 ans je fais passer des trucs idiots en bas du JT et vous me lisez. Je vous en remercie. Mais là, je suis fatiguée d’écrire ces choses, alors j’arrête. Cela va vous reposer les yeux et comme ça au moins demain je resterai au lit tard. Cela fait des années que je n’ai pas fait une grasse matinée, ou une balade au parc avec mes enfants."
Le présentateur inconscient de ce qui se jouait chez les téléspectateurs continuait immanquablement son speech sur le procès de la marée noire qui devait coûter des flots de salives. Le texte continuait d’authenticité, petite ligne défiant la banalité, ingénue autant qu’inattendue.
"Je ne sais pas pour vous, mais j’irai bien m’acheter des bons légumes et prendre le temps de me faire un bon plat plutôt que les sachets lyophilisés et les plats tout prêts... Je me demande si je connais encore le vrai goût d’une soupe de poireau."
Le monde était en proie, à entendre le présentateur vomir, à une crise économique sans précédent et la bande de texte défilait en s’excusant déjà de ne pas être là demain. C’était incroyable. On restait médusé, comme si le texte parlait à chacun et expliquait "qu’il lui était insupportable de se lever aux aurores pour taper les températures des prévisionnistes entre le café soluble du distributeur qui lui donnait des aigreurs et le déjeuner industriel de la cafétéria" Clara - le texte défilant - avait envie de se faire griller des saucisses avec du vrai thym ramassé dans sa garrigue natale.
Et tandis que le présentateur annonçait sans se douter de rien un carambolage sur l’A1, le texte qui défilait racontait comment on fait revenir lentement les légumes pour laisser le temps à la ratatouille de donner le meilleur de sa saveur. Clara avouait que : "rentrant le soir elle ouvrait des conserves et n’avait jamais pris le temps de faire une vraie bourride ou une vraie bouillabaisse à ses enfants. Spécialités de sa ville natale : Sète."
Et tandis que le journal télévisé s’achevait, Clara en texte défilant conclut sur le même ton en souhaitant à tous une belle nuit. Elle souhaitait à chacun de retrouver le vrai goût des bonnes choses. Ainsi avait-on pris conscience au même moment de la présence d’un humain derrière le bande de texte du bas de l’écran et le même jour on apprenait qu’on la perdait.
Beaucoup n’en dormirent pas. La chaîne s’excusa. Des communiqués soulignaient l’incident. Les autres télévisions reprirent le scoop. On racontait même que Clara avait été arrêtée en direct. Par ce simple geste qui semblait à la fois tellement dérisoire et totalement individuel, par la simple envie de cette femme de ne plus manger des plats mal réchauffés à la cafétéria de la télévision nationale, le ridicule de l’existence de tous et de chacun surgit à l’heure du dîner. Heure de grande écoute. Clara avait fait revenir les renoncements quotidiens, les petites démissions qui concouraient à faire pour tous des vies qui défilaient comme des annonces de résultat de loto. Il n’y avait pas d’autre revendication que l’envie de mieux vivre. Et cela avait sauté aux yeux de ceux qui regardaient.
Au journal de la nuit, il était question de comités qui s’étaient formés spontanément devant un commissariat pour demander la libération de la jeune femme. La chaîne parlait de dépression nerveuse, de « burnout » d’une personne qui avait perdu la raison. Ce fut une petite brune pétillante qui apparut sur le perron encadré par des inspecteurs. Elle souriait timidement et avec un incroyable accent chantant ; elle cria seulement à la foule :
- Merci d’être venus, demain je me fais la grasse matinée, je ne vous raconte pas !
Il y eut une bousculade, des rires, des cris et très vite plus rien.Yan avait fini sa dernière bière il n’en revenait pas : cette fille, celle du bandeau défilant, c’était une de ces voisines. Il l’avait croisée plusieurs fois le matin tôt dans l’ascenseur.
Ce matin-là, on s’affairait déjà dans les parcs de la ville, on transportait du charbon de bois, des merguez, des saucisses de pays faites à la maison par les uns, des brochettes offertes par une boucherie bio. Yan arrivait vers 11h et demie au parc Monceau. Il y régnait là un air de kermesse. Les mots de Clara étaient sur toutes les bouches, on avait envie de la connaître. Elle ressemblait désormais à la liberté guidant le peuple au pique-nique. La femme à l’accent de l’Hérault, la femme du bandeau de texte du journal télévisé était la nouvelle mascotte du quartier. C’est qu’elle était là, en personne, étonnée elle même de cet élan populaire et inattendu.
Yan, à son tour, voulait la saluer. C’était une femme sans âge, plutôt petite et habillée simplement d'une robe fleurie. Elle souriait et ponctuait ses éclats de rire pas des expressions de son terroir. Les "fan de chichourne" "té peuchère" revenaient en boucle comme l’odeur du thym dans la garrigue. Elle était étonnée de ce désir soudain collectif de faire un vrai barbecue. Stupéfaite que ses voisins l’aient accompagnée dans sa demande si banale. Ils habitaient le même immeuble, le même pâté de maison et ne s’étaient jamais parlés. Elle sourit à Yan qu’elle reconnut :
« On se connaît de vue, avec des têtes d’ascenseur, dit-elle avec une grimace. "Surtout le matin".
Les gardiens du parc étaient là eux aussi fiers d’héberger la nouvelle égérie de la télévision. On lui demandait des autographes. Elle semblait inquiète aussi de tant de sollicitude. Elle sourit à Yan, il était la seule tête connue de cette sympathique foule.
- Vous restez près de moi ?
- Je ne savais pas, dit-il, que ma voisine était une star.
- Putain moi non plus, rit-elle. Si j’avais su je serais restée au lit !
Les CRS débordés par la tournure des choses restaient sur leurs positions. À l’extérieur, plusieurs élus d’arrondissement arrivaient en voiture officielle pour se joindre aux habitants du quartier. Pour attiser les braises et charrier le charbon de bois. On offrit saucisses et merguez aux pandores. Le préfet leur ordonna de ne pas refuser. Il ne fallait pas créer d’incident avec les stars du petit écran.
Après tout ! On avait bien le droit de prendre une journée pour réfléchir à ce que l’on mange ... Dans les ministères et les locaux de la télévision, dans les bureaux et les administrations on boudait ce jour-là les cantines pour sortir jusqu’au coin de la rue et griller qui une côte d’agneau aux herbes qui une sardine sur les barbecues collectifs installés à chaque carrefour. Paris sentait le fenouil et et le thym. La fumée de cet après-midi ne serait plus les particules de pollution de la suractivité. On avait arrêté camions et voitures, taxis et bus pour prendre le temps de bien manger, de trinquer et de se raconter des histoires drôles. La journée fut agréable, la météo était clémente, on écoutait un orchestre improvisé, on discutait ici et là de recette de cuisine.
Yan s’était improvisé garde du corps de Clara. Il veillait à ce qu’il ne lui arrive rien. On ne sait jamais. Cette femme frêle et discrète était en quelques heures devenue un symbole. Personne ne lui voulait du mal, bien au contraire, mais les épanchements de sympathie pour ses propos défilant de la veille, proférés avec une telle débauche de passion populaire pouvaient devenir oppressants. La presse écrite faisait son éloge. Trop pressée d’abonder dans le sens de la plèbe pour vendre ses encarts publicitaires. On imaginait mal ce qu’on aurait pu reprocher à la belle Provençale au franc parlé et au sourire communicatif.
Elle prit le bras de Yan pour rentrer, en voisins.
Comme lui chaque matin elle passait devant la femme et le chien pour prendre son métro. Ce soir-là ils remontaient le boulevard ensemble en riant aux éclats. Ils s’installèrent dans les fauteuils chez elle. On servait des verres de vin rosé, certains avaient amené de bonnes bouteilles pour l’occasion. Le soir au journal télévisé quelqu’un avait repris le travail de Clara, laissé vacant.
Et tout le monde guettait anxieusement le défilement inférieur de l’écran.
Il ne se passait rien durant les 2 premières minutes, puis alors que le nombre de morts d’un crash aérien à l’autre bout du monde allait s’afficher le texte s’arrêta.
Tous les téléspectateurs avaient retenu leur souffle. Les réalisateurs de l’émission alertés tentèrent l’impossible. Des policiers de l’audiovisuel matraquèrent à tout va. Il régnait sur le plateau du journal télévisé une ambiance de tumulte, le présentateur prévenu stoppa sa logorrhée verbale ...Trop tard ... Le bandeau clignotait avec ses simples mots...
- Bon appétit à tous et surtout à toi Clara !
Il y eut ensuite un écran noir et le bruit de fracas.
On exultait. De tous les appartements de France, une clameur retentit. Pire qu’un but en coupe du monde marqué par l’équipe nationale, mieux qu’un tiercé dans l’ordre au prix de l’Arc de triomphe. Le texte défilant était devenu le symbole du petit peuple de France. La joie fut telle qu’on s’embrassait sur les paliers et dans les halls des immeubles. On oubliait par la même de regarder la coupure publicitaire. L’Occitanie entière hurlait la joie de la dignité retrouvée. Déjà on préparait le charbon de bois pour le lendemain midi.
"On chanterait désormais la Marseillaise avec l’accent" proposait un ministre pour calmer le sud qui de Nice à Albi refusait désormais l’importation de plats cuisinés venant du Nord. Des barrages filtrants à l’entrée de chaque ville interdisaient l’approvisionnement des supermarchés. On dressait des tables sur les places, on servait et les grillades aux herbes de la montagne et la fameuse soupe de poireau de Clara devenue symbole de la lutte contre l’hégémonie de la "malbouffe". Pour éviter tout débordement et devant l’absence du personnel ce jour-là, les enseignes de la grande distribution restèrent fermées, convaincues que l’évènement s’arrêterait de lui-même à la fin de journée.
- Qu’ai-je fait, s’inquiétait Clara, mais qu’ai-je fait ?
- Ne t’inquiète pas, dit Yan, dans quelques jours tout sera oublié.
Ils regardaient tout cela à la télévision, sans oser sortir. Des journalistes en mal de scoop campaient devant la porte de l’immeuble.
On attendait d’elle une déclaration. Ses enfants se réjouissaient de la voir cuisiner pour la première fois la bourride de baudroies, spécialité de sa chère ville natale en fredonnant George Brassens : la mauvaise réputation. En fin de journée elle consentit enfin à faire un communiqué à la télévision.
"Comme je n’avais pas de baudroies, dit-elle à la France impatiente, j’ai fait ma bourride avec de la lotte à midi.
… Que des légumes bio, du marché. un peu de sel de l’huile d’olive…voilà c’est très simple : laissez cuire à feu moyen en remuant fréquemment pendant 20 à 25 min. Ajoutez la lotte coupée en morceaux, le vin blanc, salez et poivrez. Laissez cuire à feu doux en remuant de temps en temps pendant 15 min. Retirez la lotte. Déposez-la dans un plat chaud. Ajoutez l’aïoli à la sauce. Laissez la sauce réduire quelques instants. Servez la lotte recouverte de sauce. Bienvenue à Sète.
La France entière du journal de 20h attendait de cette frêle jeune femme un message fort et la voilà souriante qui faisait goûter son plat aux journalistes, les invitant à visiter sa petite cuisine, et par solidarité la chaine faisait défiler en bas le texte de la recette. Leur expliquant qu’ils devaient poser un peu leurs bardas, caméra et idées toutes faîtes et s’assoir tranquillement pour déguster. On ne peut pas apprécier une spécialité sétoise lorsque l’on est pressé. Elle expliquait comment couper tranquillement les carottes, faire les blancs de poireaux, choisir la branche de céleri et un beau coeur de laitue. Éplucher les oignons sous le robinet sans pleurer. Rire avec la gousse d’ail qui vous glisse des doigts. Se servir le verre de vin, 1/4 dans le plat et le reste : "on se le goûte " et surtout n’oubliez pas le thym et le laurier…
Clara n’avait rien à dire, si elle ajouta seulement qu’il faut se mettre à table avec ses enfants, et si comme elle on a plus de mari inviter un gentil voisin. Et la voilà qui pose une bise sur la joue de Yan en lui prenant le bras.
- Et moi en plus j’ai un voisin tout à fait comestible dit-elle en riant.
En bas de l’écran défilait le texte incroyablement révolutionnaire :
Coupez tous les légumes très fins et mettez-les à froid dans l’huile dans une cocotte en fonte. Mettez 2 carottes, 2 blancs de poireaux 1 branche de céleri, 1 coeur de laitue 2 oignons1 gousse d’ail, 1/4 de verre de vin blanc sec n’oubliez pas le thym et le laurier... Les habitants de la ville de Sète crièrent victoire, ils étaient tout à coup devenus la capitale de France. On envisageait déjà dans les couloirs de Matignon d’y tenir mercredi le prochain conseil des ministres. Trop tard les téléviseurs furent éteints avant l’allocution du chef de l’état. On revendait dans la rue les herbes de Provence, devenue une denrée aussi importante que le sel et le shit. On risquait la pénurie.
Yan faisait les courses, achetait les rares journaux qui paraissaient cette semaine-là. Il emmenait Clara rendre visite à d’autres voisins, dans d’autres parcs. Elle y était à chaque fois reçue comme une égérie, adulée comme une sainte. On l’admirait, on lui demandait des conseils culinaires qu’elle prodiguait sans retenue. Inspirant plutôt chacun à cuisiner simplement, sans complexité. " Avé le coeur". On signalait partout une épidémie d’absence injustifiée. Et plus les bureaux et les entreprises se vidaient plus les parcs embaumaient, se remplissait de nouveaux venus. Défendant à leur tour, leur terroir et savoir-faire.
On échangeait des recettes, on redevenait gourmands. On s’invitait. L’Alsace et la Franche-Comté réconciliées à table rivalisaient avec le cassoulet et la Cagaulade des Cévennes. Il faudrait se rendre à l’évidence que la situation ne pouvait que durer pensait parfois Yan. Il s’amusait de la bonne humeur communicative de Clara. Ils regardaient des films dans le canapé tard le soir en finissant une bouteille de vin rosé, et l’ivresse aidant se couchaient impatients de goûter enfin l’un à l’autre après s’être mangés des yeux durant huit jours.
Il furent en amour aussi gourmand qu’à table, consommant les préliminaires patiemment, se délectant l’un de l’autre avec la soif de la nouveauté, mais sans impatiente inutile. Quelque chose en eux leur disait qu’ils avaient devant eux de longues journées de paresse et de sieste crapuleuse pour épancher leur appétit.
Laurent Nicolas
La bourride de baudroie
© éditions lilo 2015
ouvrage collectif
http://www.editionslilo.com
Recette
Coupez les carottes, les blancs de poireaux, le céleri, les oignons et l'ail très fins et mettez-les à froid dans l'huile d'olive et les faire revenir quelques minutes à l’huile d’olive dans un faitout ou une poêle (sans colorer).
Ajouter le vin blanc et les aromates (laurier, thym, ail, fenouil), le sel et le poivre et faire mijoter le bouillon 10 à 15 minutes.Poser les lottes sur les légumes dans le faitout (le poisson doit dépasser du liquide), réduire un peu le feu, couvrir et laisser cuire (sans porter à ébullition) de 15 à 20 minutes. Le poisson doit rester ferme.
Retirer les poissons du faitout et les réserver au chaud.
Poursuivre la cuisson du bouillon 10 minutes afin de le faire réduire.
Piler l’ail en pommade dans un mortier, ajouter la moutarde et les jaunes d’œufs, bien mélanger et laisser reposer 1 minute.
Verser l’huile d’olive en mince filet, en fouettant la préparation et monter l’aïoli comme une mayonnaise.
Remettre la lotte quelques minutes à couvert dans le faitout pour la réchauffer.
Une fois réchauffée retirer et réserver une nouvelle fois la lotte.
Juste avant de servir ajouter l’aïoli au bouillon sur feu doux (éviter l’ébullition) et bien le mélanger pour lier la sauce. Celle-ci doit devenir nappante.
Garder une partie de l’aïoli pour le servir à part.
L’aïoli doit être ajouté au dernier moment et ne doit pas rebouillir car il le supporterait mal.Disposer les lottes dans les assiettes, ajouter des légumes égouttés et napper avec le bouillon à l’aïoli, proposer le reste d’aïoli à part.
servir le plat avec du riz de Camargue.